En faisant face au virus
Raison sentimentale contre raison d’État

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Tant que je n’ai le bien que dans ma tête, sans réaliser cette idée dans mes actions, sans l’assumer comme principe de vie, celle-ci n’est pas une vérité en moi, mais juste une représentation.
Ludwig Feuerbach

Difficile et étrange situation que celle dans laquelle nous nous trouvons. Nous avons assumé certaines mesures concrètes de prévention élémentaire pour contenir et surmonter l’épidémie. Nous l’avons fait sans tarder et de façon autonome en écoutant les indications médicales. En cela, et seulement en cela, nous sommes d’accord avec certaines décisions du gouvernement. En ce qui concerne les modalités et les arguments utilisés par les institutions et la presse, la planification, les priorités et les perspectives d’ensemble, nous sommes plus que jamais alternatifs, et donc distants et contraires aux pouvoirs d’oppression, dans toutes leurs articulations.


Un acte d’humilité

Quelle idée se font les personnes (et nous parmi elles) de tout ce qui se passe ?
La science fournit des coordonnées utiles mais ne peut pas donner de réponses certaines, définitives, résolutives. En effet, il serait bon de reconnaître qu’elle ne sera jamais en mesure de le faire parce que nous faisons partie d’un tout, appelé par convention univers, que nous ne pouvons pas, en tant qu’espèce humaine, arriver à connaître complètement et encore moins dominer. Malheureusement, il est évident que les pouvoirs bellico-industriels – mobilisés depuis toujours pour massacrer, exploiter et opprimer femmes, enfants et hommes – peuvent corrompre, violer et détruire une partie de la nature, tel qu’ils sont en train de le faire avec le monde que nous habitons. Il n’est pas difficile de déduire que le bouleversement artificiel de l’habitat naturel ait un lien avec des pathologies pandémiques et endémiques.
La population mondiale toute entière est ébranlée et menacée, se sent exposée, perçoit sa propre faiblesse, est accablée de façons diverses par la peur de la maladie et de la mort. C’est une condition d’extrême nécessité où il est plus que possible, indispensable, de se réveiller et de se défendre, d’apprendre à se protéger, redécouvrir la force de l’humanité, libérer le courage du soin, de la guérison. Il s’agit des sentiments et des raisons, de l’œuvre et des perspectives de la vie que nous retrouvons dans le présent, auxquelles nous aspirons pour le futur, que nous apprenons du passé.
Aujourd’hui plus que jamais, une vision d’ensemble est nécessaire, et précisément pour cela il faut commencer par une réflexion et un acte d’humilité. Nous sommes une espèce particulière parmi les autres. Nous pouvons découvrir de nombreuses choses concernant le vivant et avoir aussi des certitudes importantes, mais toujours relatives et partielles : nous n’avons aucun droit de les vendre comme des vérités absolues. Nous pouvons changer notre environnement et y compris nous-même, avec respect et patience, dans un sens positif, ou au contraire avec violence et furie dans un sens destructif. Nous sommes une espèce perfectible et donc toujours imparfaite.
Confusément, petit à petit, nous nous rendons compte de ce qui est en train d’arriver mais nous ne connaissons pas précisément l’origine et le développement, et encore moins le remède à un phénomène nouveau et surprenant, épidémique et mortel comme le coronavirus. En tous cas, nous avons quelques éléments suffisants pour essayer de lui faire face et nous devons savoir les penser et les interpréter. Par ailleurs, nous considérons que cette maladie mondiale est d’une certaine façon le fruit d’altérations du système universel naturel, dont nous sommes coresponsables en tant qu’espèce humaine.


Potentialités humaines

C’est donc le moment de nous interroger sur nos potentialités, sans cesser d’en reconnaître les limites, pour les mobiliser et les employer pour le mieux.
Notre santé est une question psycho-physique, une question d’équilibre dynamique constant entre corps et esprit, qui s’influencent réciproquement et en permanence. C’est nous, avant tout, avec nos constructions et représentations mentales, qui activons les capacités de la base biologique, corporelle, de notre existence, en les renforçant ou en les affaiblissant, en les développant ou en les réduisant. L’organisation représentative est inséparable de l’organisme humain vivant. Un état mental fort et efficace aide la condition physique, tout comme celle-ci est un soutien pour une pensée bénéfique.


Penser le soin (de soi)

Pourquoi cette approche simple est-elle aussi importante ? Parce qu’elle est basée sur des connaissances essentielles certaines, elle est attestée par l’expérience, elle est à la portée de qui la choisit, elle est innovatrice et nous réserve des surprises importantes. En même temps, et ce n’est pas un hasard, elle est largement ignorée et contredite. Les pouvoirs d’oppression nous demandent (à leur façon) « comment allez-vous » ? et nous suggèrent ou nous imposent « comment faire ». Ils ne se préoccupent absolument pas de stimuler comment sentir et penser notre santé physique et mentale. Cela rend plus incertains et laborieux les résultats immédiats de la lutte contre le virus ; et même, d’une manière plus générale et à la longue, cela se révèle peu utile, inutile, voire même néfaste.
Ainsi s’expliquent aussi des décisions et des informations contradictoires venues d’en haut qui ont contribué à aggraver le chaos causé par l’épidémie. La leur n’est pas une invitation d’ensemble comme la nôtre, « je pense à prendre soin et à me soigner », mais l’imposition circonstancielle et ponctuelle, « je reste à la maison ». Il n’est pas question de sous-évaluer ou de passer sous silence la prudence, mais plutôt de l’encadrer dans une perspective d’ensemble, commune, à long terme, et pas seulement individuelle et passagère. Pourquoi ne le font-ils pas ? Avant tout, parce qu’ils ne font pas confiance aux gens communs et parce que l’unique soin auquel ils croient est basé sur le faire coercitif (plus ou moins explicite selon les cas) et hétérodirigé. Une logique qui s’appuie sur les « lois de la jungle » c’est-à-dire sur une douteuse hérédité évolutive qui ignore complètement les capacités créatrices et d’amélioration des personnes, des relations, des communautés. Ils ont recours à la peur plutôt qu’au courage, ils obligent à la fuite vers la sphère privée au lieu de stimuler la réciprocité attentive et bénéfique, ils proposent comme d’habitude des « protections » externes et aliénantes.
Maintenant, malgré le valeureux engagement de tant de femmes et d’hommes du système sanitaire – massacré au cours des années par plus d’un gouvernement – qui sauvent de nombreuses vies, cette approche étatique est loin d’avoir trouvé une responsabilité généralisée et partagée, comme on a pu le voir avec les exodes soudains et absurdes d’une ville ou d’une région à l’autre, ou avec des comportements dangereux dans la vie quotidienne. Par ailleurs, le simple et inerte « rester chez soi » n’est certes pas une solution à la longue, si on n’apprend pas des règles de vie saines et solidaires. Au contraire, il peut générer des malaises psychophysiques sérieux, en plus d’augmenter les crimes « de famille » qui frappent en premier lieu les femmes et les enfants.


Réveiller les consciences

Cette psychologie, menaçante pour soi et pour les autres, est malheureusement répandue chez de nombreuses personnes. Elle est le fruit amère d’un profond sommeil des consciences. Ne pas observer le propre monde interne en reconnaissant celui des autres brouille la vision du monde externe. Ne pas savoir s’interroger soi-même et ses proches nous prédispose à accepter n’importe quel mensonge répandu par des inconnus souvent anonymes. L’obsession du faire réduit la dimension propre de l’être humain à une simple errance existentielle.
Il y a toutefois des personnes qui commencent à se secouer. Les « sardines » en sont un exemple limpide et sincère. Des personnes qui nous demandent et nous parlent, qui réagissent aux difficultés du moment en essayant de se représenter plus pleinement la vie, qui commencent à comprendre la valeur décisive de se choisir, et de choisir d’être meilleures avec les autres. Agir ainsi devient plus cohérent et attentif, conscient et utile. Les décisions qui sont prises quotidiennement s’inscrivent dans la redécouverte des propres capacités électives d’ensemble. Ce sont des signes de réveil des consciences, de la redécouverte d’une raison sentimentale de notre être-au-monde, qui nous permet, nous aide, nous oriente dans le prendre soin de soi, mais plus encore : elle est elle-même un remède miracle. Cette raison sentimentale du bien qui peut défier la raison d’État dominante, cause de tant de maux. Cette raison sentimentale qui nous appartient profondément et qui peut nous guider vers le bonheur possible, si elle est ravivée et bien orientée, même dans un moment de sérieuse difficulté comme maintenant.


La politique sans masque

En attendant, la raison d’État continue à sévir, toujours sourde et instrumentale envers ses sujets, avide et perfide dans ses affaires louches, présomptueuse et froide face à l’humanité endolorie. On commence maintenant à divulguer comment la diffusion rapide et terrible du coronavirus en Lombardie serait liée à l’abondance de particules fines, fruit empoisonné d’un développement industriel effréné et des concentrations urbaines toxiques qui continuent à être exaltées avec un incroyable cynisme ! Il y a eu, de la part des patrons, gouvernants et administrateurs, une négligence généralisée des conditions de sécurité des travailleuses et des travailleurs, en commençant par le personnel de santé. Même dans les zones les plus touchées par l’épidémie, comme la Lombardie et la zone de Bergame en particulier, on hésite encore à fermer tous les sites industriels non essentiels. Accumulation et superbénéfices, divinités de ses seigneurs, réclament des sacrifices à ceux qui travaillent jusqu’à mettre leurs vies en danger. La lenteur pour enrayer le danger est aussi le fruit de l’avidité patronale qui a été secondée par tous les partis nationaux.
Le système de pouvoir d’oppression cherche en permanence à contrôler et manipuler la grande majorité des personnes communes, et nombre d’entre elles, comme les immigrés et les sans-abris, sont exclues de iure e de facto des droits de citoyenneté.
La logique négative des pouvoirs oppressifs culmine dans un syllogisme fatal : plus elle prévaut plus elle échoue, et son échec la pousse à s’acharner et s’enrager encore plus contre les gens. Ce nouveau stress test dû à l’épidémie est révélateur. La décadence que vivent les démocraties s’aggrave, l’autoritarisme à peine voilé par les déclarations officielles mielleuses avance dans l’étroite mentalité prédatrice des gouvernants, celle-là oui, mentalité « de la jungle ». Il est opportun de rappeler que, dans ces cas-là, c’est le modèle original qui tend à prévaloir, le modèle le plus rodé qui n’est pas le fascisme ou le stalinisme (dont les traits ou les résidus font aussi leur apparitions), mais la domination la plus durable et organiquement oppressive que l’humanité ait connue : la domination impériale. Quel est l’empire de plus longue durée, basé historiquement, avec derrière lui une « philosophie » de la guerre et de la communauté forcée, et capable aussi de s’adapter et de se préserver ? La Chine, qui à travers des changements dynastiques et de régime millénaires a cependant maintenu un certain type de structure et de contrôle bureaucratiques sur diverses ethnies enfermées dans un territoire protégé. Un empire capable d’une violence extrême et implacable à l’intérieur de ses frontières – souvenons-nous de Tiananmen – mais, dans les dernières décades, attentif à ne pas se laisser impliquer dans des conflits internationaux. Un empire qui développe sa puissance industrielle et technologique en soumettant ses sujets aux plus âpres sacrifices, à une exploitation et à une contamination monstrueuses, en les privant des libertés bourgeoises formelles, mais en promettant « sécurité » comme il semble l’avoir garantie, mais pas sans retards importants et silences coupables face à l’épidémie.
L’influence chinoise est destinée à croître dans le monde pas seulement économiquement mais surtout idéologiquement, de manière directe ou indirecte. Elle est vue ou sera vue comme une alternative ou un ajustement aux démocraties décrépites. C’est déjà le cas en Corée du sud où la démocratie, dans l’urgence médicale, est déjà interprétée façon « big brother » avec des caméras dans les maisons de tous les malades. Ou bien dans la « très civilisée » Grande Bretagne où un serial killer rôde dans Downing street. Avant de se raviser, il était en train d’emboîter le pas de certains de ses compatriotes en blouse blanche qui depuis un certain temps mettent en marche un protocole d’« euthanasie » programmée pour les personnes âgées, et même une « recommandation du Royal College of Paediatrics and Child Health (…) qui consent expressément à ce que les traitements pour le maintien en vie soient refusés aux enfants si leur “qualité de vie” est considérée insuffisante » (voir il Foglio du 17 mars 2020 ). Sans parler des folies trumpiennes qui vont et viennent entre ses murs, liquidation de l’Obamacare et positionnements publiques d’invitation à l’imprudence par rapport au virus, pour ensuite faire un revirement drastique. Pensons aussi à Macron qui, au début, a soutenu et approuvé les promenades insensées et les flirts jacobins libertins sur les bords de la Seine d’une petite bourgeoisie parisienne frustrée, pour opérer tardivement un changement suggéré… par les Bourses.
Les gouvernements, c’est-à-dire leurs comités d’affaire ou conseils d’administration, hésitent et décident, mentent et se démentent, apaisent et répriment, tranquillisent et terrorisent, se vantent et se renient. Ils sont désormais l’unique expression de la politique. En effet, les partis ont disparu, mis à part le message de Zingaretti à propos de son résultat positif au test du virus, et l’appel hystérique au service militaire obligatoire du sinistre Salvini. Où ont donc fini les groupes et les organisations de gauche ? Ils font quelques sacro-saintes dénonciations des malfaisances du gouvernement, ils avancent éventuellement des revendications à l’État, négligeant et ignorant le cadre humain d’ensemble qui est en train de se définir ; voire même, il y a le cas du journal Lotta comunista (numéro de février 2020) qui dédie un article à ce qu’il appelle le « Virus de la superstition », défini comme une « pauvre spéculation électoraliste », confirmant ainsi, outre un certain cynisme, le passage de son marxisme de la science à la science-fiction. L’unique exception à notre connaissance, remarquable et digne d’être saluée, est représentée par la réflexion d’ensemble sur l’épidémie et par les actions solidaires pour y faire face menées par les Centres Sociaux Autogérés du nord-est de l’Italie. Les attitudes qui priment à gauche s’apparient et aggravent l’indicible sectarisme ou le dédain dont font preuve presque tous ces regroupements envers les « sardines » et la simple radicalité de leur message. Il s’agit malheureusement de l’aboutissement tragique d’une longue parabole de ceux qui ont continué à croire en la rédemption politique ou en la possibilité d’une nouvelle politique. Malheureusement, il en est autrement : la politique, y compris la politique démocratique dans toutes ses nuances, et y compris celle qui se proclame révolutionnaire et/ou communiste, est une affaire d’État. En tant que telle, elle trouve ses racines dans l’usage de la violence, et dans la prédisposition et la préparation à la guerre (même contre le virus, ils ont déclaré la guerre, sans se rendre compte du paradoxe). Toute pratique politique comporte l’éloignement de l’humanité et de ses traits les plus essentiels, la non compréhension ou le désintérêt de la centralité du monde interne. En fin de compte, la politique, toute la politique, retourne à ses premières origines. Derrière le masque, elle dévoile ses perpétuelles origines et vocations de guerre, coercitives et répressives. On en trouve la preuve, pas seulement dans les conflits armés, mais aussi dans l’offensive permanente contre les femmes, dans le racisme populaire et étatique, dans les tentatives biopolitiques et technologiques de contrôle et de perversion de la communication et des choix humains ; et dans le fait que chaque sujet politique cherche invariablement à prévaloir sur les adversaires du moment, par la vexation, le mensonge, l’affrontement.
La raison rationalisante des pouvoirs d’oppression, dans leurs différences qui s’estompent peu à peu, est devenue pour tous la tragédie de l’irrationalité humaine. Elle se déploie partout comme incompréhension de l’espèce, à commencer par la mise aux oubliettes du genre féminin qui la crée, en prend soin et la fait grandir.


Une croisée de chemins existentielle

Dans l’urgence du moment et au-delà, nous percevons que nous sommes face à une croisée de chemins. Il est prioritaire de contenir et vaincre l’épidémie mais, dans cette tentative, l’ensemble de nos prédispositions intimes est mis à l’épreuve ; l’est aussi, en même temps, l’organisation pratique de l’existence, ce qui interroge sur l’après.
Regardons-en les diverses directions possibles.
Il y a le chemin du « rien ne sera plus comme avant », reproposé par journalistes et politiques peu imaginatifs, recette en apparence insignifiante mais en fait fataliste et donc mortifiante pour nos capacités de choix. Il y a le mantra très populaire du « retour à la normalité ». Normalité ? Quand est-ce que nous commencerons à comprendre que leur normalité n’existe pas ? Tout cela n’est pas humainement normal : la guerre permanente, la violence contre les femmes et les enfants, la férocité xénophobe et raciste, la société toujours plus massifiée et obsessive, inconnue d’elle-même et dangereuse. Il y a alors l’espérance virtuelle : allez, réfugions-nous dans le web, intoxiquons-nous d’informations fausses ou déformées, fournissons nos données personnelles et transformons-les en marchandise, inventons-nous des rapports éphémères et trompeurs, compromettons nos capacités cognitives, arrêtons de nous fatiguer à penser avec notre tête et à notre rythme en nous fiant aux appareils électro-domestiques ; mais après n’allons pas nous plaindre si nous nous trouvons plus pauvres et plus faibles humainement… Il y a le cri de la rébellion, la conflictualité permanente façon « gilet jaune », qui promet quelque décharge d’adrénaline et produit une croissance exponentielle de frustration et d’impuissance à penser positif. À l’inverse, il y a le refuge dans la sphère privée, c’est-à-dire continuer dans la condition de captivité que nous expérimentons ces jours-ci de manière forcée. Il y a la petite formule habituelle qui nous dit que « la vie continue », et qui propose donc résignation et soumission en attendant que nous soyons frappés par d’autres virus et par des guerres authentiques de différent type, ordre et degré.
Ou bien il y a la possibilité et le droit, et même la nécessité, de s’inventer une autre vie, notre vie, plus digne d’être vécue et savourée, même en affrontant les difficultés. On peut concrétiser cette possibilité si on sort de la tempête émotionnelle qui faisait déjà rage et qui maintenant s’est aggravée et risque de se cristalliser en devenant endémique : nombreux sont ceux qui en sont les victimes.
Essayons de réfléchir sans s’arrêter sur les premières impressions, reprenons le contrôle de nos fantastiques ressources mentales. Parce que, sinon, les facultés déjà maltraitées se brouillent. L’intelligence grince comme un mécanisme rouillé ou se paralyse par la peur, au lieu d’élaborer clairement les intuitions, en nous avertissant des possibilités et des dangers. La mémoire s’en tient à l’immédiat, ou bien évoque des tragédies passées, au lieu de parcourir les pas de notre cheminement et de rappeler les grands défis gagnés par l’humanité, et par chacun/e d’entre nous, même dans les moments les plus tristes et en dépit des patrons et des gouvernants. La créativité se limite à ouvrir une fenêtre et à chanter une mauvaise chanson qui, défiant le sort, dit que « nous sommes prêts pour la mort » , au lieu de libérer nos intentions théorétiques et affectives pour préparer la rescousse et planifier à quel point nous sommes prêts pour la vie. La raison s’enferme dans le calcul des probabilités et du temps pour que finisse l’épidémie, sans en avoir aucune évidence, au lieu de repérer et d’examiner les données fondamentales et de les assembler avec prudence, en évaluant les lignes de tendance et les possibilités réelles. Le sentiment, souvent précipité dans la haine, ou rétréci à la pure dimension émotionnelle, devient peur panique, au lieu de s’élever enfin pour donner un sens à l’amour pour l’humanité et pour la vie elle-même, et ainsi se retrouver dans l’amour des amours, des amis et de nous-même. C’est-à-dire trouver le courage.
Oui, parce qu’en aimant la vie toute entière, dans toutes ses manifestations, on peut trouver le courage nécessaire de soi et des autres, et la voie juste dans cette croisée de chemins.


Nous redécouvrir plus et meilleurs humains

Beaucoup sont ceux qui, entraînés par le besoin très humain, mais peu réfléchi, de rentrer chez eux ou de se rencontrer, se sont mis en voyage, ou vadrouillent dans les villes, se mettant ainsi eux-même, et leurs personnes chères, en danger. Compréhensible mais inacceptable. Les sorties individuelles indispensables pour des besoins essentiels sont une chose, tout autre chose sont les transferts de masse et les promenades en groupe. Insistons : il est nécessaire de nous convaincre et de convaincre les personnes d’une attention maximale dans leurs comportements, en critiquant les attitudes d’irresponsabilité sociale et relationnelle qui, malheureusement, sont une expression de la crise de raison sentimentale, autant que de la désagrégation des sociétés étatiques. En même temps, nous rejetons et nous condamnons les excès répressifs et intimidateurs de la part des institutions envers les gens communs. Nous savons que certains mouvements autoritaires peuvent facilement s’enraciner dans un contexte de fragilité et de dégradation accentuée des consciences, comme dans le cas italien. En outre, l’hostilité gratuite ou l’acharnement légal contre des personnes manifestement en mouvement par nécessité, sans qu’elles ne constituent un risque, n’aide en rien l’effort collectif contre le virus et risque de provoquer des crises de nerf massives.
On peut voir un signal réconfortant dans le fait que de nombreuses personnes démontrent qu’elles assument et pratiquent un principe de responsabilité, qui naît d’un sursaut altruiste positif et qui peut grandir et se radicaliser en termes affectifs et moraux. Nous parlons d’un nombre croissant de femmes et d’hommes de tous âges, de divers horizons et milieux, qui nous restituent et reçoivent cet état d’esprit. Nous recevons de leur part une incitation de plus à développer, préciser et rendre plus cohérent notre engagement humaniste socialiste, et nous le leur offrons. L’œuvre fondamentale de conviction, d’écoute et d’accompagnement que nous sommes en train de conduire, pointe vers une activité de l’esprit et non à la pure passivité. Prendre soin de soi et soigner implique certainement prudence, précaution, respect et explication des règles connues, mais ce n’en est que le début. Nous avons besoin d’une mobilisation forte, convaincue et constante de nos meilleures énergies essentielles.
Au moment le plus sombre de la décadence, les lumières des façons différentes de concevoir et de conduire la vie peuvent briller. C’est le moment de redécouvrir et d’élaborer les intentions concrètes qui nous animent. Avant tout, la capacité de représenter la vie globalement, de l’imaginer, de la planifier, d’y aspirer. Capacité qui se loge dans les profondeurs de chacun/e d’entre nous, mais que souvent nous ne possédons pas, parce que nous la déléguons ou nous la cédons à des institutions lointaines et froides. Pourtant nous en ressentons la chaleur et la puissance dans les sentiments qui surgissent en nous, envers les autres personnes, envers le reste de l’humanité, envers les autres espèces, envers la nature tout entière et c’est justement de cela que nous pouvons et nous devrions faire théorie et culture. Nous pouvons avoir l’intuition de son importance cruciale, particulièrement au moment où nous faisons face à la menace virale, comme sauvegarde, comme possibilité de croissance et de changement. C’est à nous, à chacun/e d’entre nous d’interpréter la croissance, l’amour, la création vitale à laquelle nous sommes prédisposés et dont nous sentons l’urgence, même encore incomprise. C’est à nous, ensemble : en nous sentant, en nous rencontrant (en sécurité, biensûr), en nous écoutant, en nous consultant, en nous retrouvant même à distance. Ainsi, nous nous rendrons compte de l’extraordinaire similitude que nous percevons dans les relations et dans les collectivités choisies, et de la non moins stupéfiante diversité dont nous sommes protagonistes dans chaque passage de notre subjectivité. Nous découvrirons ainsi à quel point nous tendons à la vie de manière irrépressible, mais que nous devons apprendre à le faire, et la tragédie menaçante, elle aussi, nous stimule dans ce sens.
Particulièrement maintenant, il y a une plus grande possibilité d’apprendre finalement à reconnaître et choisir le bien et le mal. L’actualité des valeurs morales et éthiques, à reconquérir et à refonder, à incarner et à expérimenter, est incontournable. En nous et en dehors de nous, nous ressentons à quel point cela concerne la proximité ou la distance avec les autres à tous les niveaux, du plus simple au plus complexe. Et donc les protagonistes d’une raison sentimentale renaissante et passionnée peuvent se révéler et se rejoindre pleinement en tant que sujets. Des personnes qui sont, représentent et agissent en relation et ensemble. Nous l’expérimentons concrètement dans les échanges inter-personnels avec de nombreux amies et amis, dans les équipes de La Comune, dans l’École internationale, dans la distribution du journal, dans la recherche théorétique. Nous le vérifions en particulier dans la campagne d’autofinancement, qui même pendant ces journées si compliquées continue à se dérouler, démontrant la qualité et la cohérence de nos camarades, et la valeur et la générosité de toutes celles et tous ceux qui donnent de l’argent, mais démontrant surtout conviction et détermination pour notre œuvre totalement indépendante. Nous entrevoyons et nous expérimentons le sens de pouvoir être plus et meilleurs humains en nous dédiant aux autres. Le projet et le programme, l’idée ambitieuse et la pratique modeste et concrète de cette communion libre et alternative, d’où nous tirons nos origines et dont nous prenons le nom, apparaissent de plus en plus actuels, concrets, vrais, utiles, libres, bénéfiques, beaux et possibles.

23 mars 2020
Dario Renzi

(les éléments fondamentaux de ce texte ont été présentés et discutés dans la Direction Théorico Méthodologique du Courant humaniste socialiste)